Nos trois experts réagissent à l'annonce de la réforme des retraites.

Denis Campana, actuaire de renom, ancien DG de Mercer France, premier cabinet mondial de conseil dans le domaine des ressources humaines et d'avantages sociaux complémentaires; Didier Cauchois, directeur de projet chez LHH et ancien DRH de la CFDT; Julien Jacquemin, actuaire depuis plus de 20 ans, spécialiste de la retraite, enseignant à l'ISFA, ancien président de plusieurs cabinets de protection social, actuel CEO de Gedeon réagissent à l'annonce de la réforme des retraites.

Ce qui fait le plus débat dans cette réforme c’est le report de l’âge de départ à 64 ans. Était-ce selon vous la meilleure option à privilégier pour rééquilibrer le système ?

Denis Campana :

L’âge de départ n’était pas le seul moyen d’action : la réponse est multifactorielle, il n’y a pas de solution miracle. Pour autant, on se rend compte que la plaine est inondée et que, pour arrêter l’inondation, il faut fermer certains robinets, dont celui de l’âge du départ à la retraite. Et arrêter de penser que parce qu’aucun d’eux n’apporte une solution significative, on n’agit sur aucun !

Quand on a pensé notre régime social et le financement des retraites, l’âge normal de départ était de 65 ans, pour une espérance de vie de 10 ans à cet âge. Aujourd’hui, on part plus tôt à la retraite et l’espérance de vie à la charge des régimes a doublé. Le contexte n’est plus le même.

Didier Cauchois :

Bien sûr qu’il y avait d’autres moyens que de reporter l’âge légal. Tout ce qui fait rentrer de l’argent dans les caisses n’a pas été assez étudié à mon sens, comme le fait de jouer plus fortement sur les cotisations ou de mettre fin aux régimes spéciaux dès maintenant.

Selon moi, il s’agit d’une réforme d’affichage politique. Les mesures retenues visent davantage à obtenir le vote de partenaires politiques que l’efficacité réelle. À mon avis, dans 5-6 ans, il faudra une nouvelle .

Julien Jacquemin :

Ce qui m’étonne c’est qu'on se focalise sur l’âge de départ à 64 ans, mais la réalité c’est que beaucoup de gens ne vont pas être concernés. Cette réforme, c’est plutôt un message pour les marchés financiers qui nous prêtent de l'argent : la France est capable de réformer son coûteux système de retraite.

L’autre grand sujet sur la table c’est l’emploi des séniors. Que pensez-vous des mesures annoncées par Élisabeth Borne, comme l’index sénior ou l’élargissement de l’accès à la retraite progressive ? D’une manière générale, comment anticiper la prolongation de l’emploi des séniors ?

Denis Campana :

La retraite, ce n’est pas seulement l’âge et la pression des taux de cotisations. Ce qui est important, ce sont les ressources et la richesse salariale produite à la base des cotisations qu’il faut protéger. Et le seul moyen de la sauvegarder, c’est l’emploi rémunéré. Donc le vrai enjeu, à mon sens, est l’enrichissement de la boîte à outils pour accompagner la transition emploi retraite.

En conduisant les gens à partir plus tard, on risque malheureusement d’élargir le trou pendant lequel les gens ne vont pas travailler en attendant leur retraite. Alors comment gère-t-on cette transition emploi retraite ? Il faudrait trouver des solutions pour prolonger l’envie de rester, comme adapter le rythme et l’intensité de travail pour maintenir les personnes en emploi le plus longtemps possible. Actuellement, personne n’a encore trouvé de solution efficace.

Didier Cauchois :

L’index sénior ne va à mon sens rien solutionner. Ce qui m’inquiète c’est l’effectivité de la mesure : comment ça va marcher concrètement ? Il risque d’y avoir des effets pervers : beaucoup de gens vont estimer que, du fait de la pénibilité de leur travail, la réponse la plus efficace, c’est de demander des arrêts maladie de longue durée jusqu’à atteindre l’âge légal de départ. Cela risque d'entraîner un report de la question de l’emploi des séniors sur des entités, en particulier la médecine du travail, qui n’ont pas la capacité de gérer ça.

Sur la question de l’emploi des séniors, tout comme celle de la prévention de l’usure professionnelle, il faudrait donner la main aux partenaires sociaux, y compris les représentants du patronat, qui sont en mesure de trouver des solutions. Par exemple, on peut imaginer faire de la mise en relation entre secteurs d’activité pour réduire la pénibilité au travail et créer des passerelles entre métiers. Je suis inquiet que la réforme actuelle mette de côté le dialogue social, notamment interbranche.

Julien Jacquemin :

L’index me paraît une mesure gadget : tel quel, il ne va pas changer grand-chose car il ne s’avère pas très contraignant. En revanche, je trouve l’idée d’ouvrir la retraite progressive et le temps partiel plutôt bonne.

Le vrai enjeu concerne les personnes qui vont partir à la retraite dans les 8-10 prochaines années : celles qui ont commencé leurs carrières vers 20/21 ans, avec un salaire moyen. Ce sont elles qui seront le plus impactées. Est-ce qu’en quelques années on va réussir à modifier le marché du travail pour qu’elles soient plus valorisées en fin de carrière ? Rien n’est moins sûr.

D’une manière générale, quel est votre avis sur cette réforme ?

Julien Jacquemin :

J’aime bien le côté retraite à la carte, car le gros sujet c’est la pénibilité au travail et l’espérance de vie. Laurent Berger disait par exemple que les aides soignantes sont l’une des populations qui a le plus faible taux d’espérance de vie. Que l’on n’ait pas tous la même pénibilité au travail, et donc pas tous le même âge de départ à la retraite, cela me paraît normal.

Dans la mise en œuvre pratique, on sent en revanche qu’on a voulu faire plaisir à tout le monde, notamment au groupe LR (mais c’est aussi le jeu politique français à la proportionnelle). Le problème c’est que, quand on essaye de trouver un consensus, on se retrouve souvent avec des mesures pas très pratiques et pas très détaillées. Pour l’instant, les mesures annoncées ne me semblent pas très concrètes. Affaire à suivre donc…

Didier Cauchois :

Bien que je sois globalement déçu des mesures annoncées, il faut aussi saluer des avancées remarquables, notamment la revalorisation du minimum de pension à 1 200 euros, c’est une très bonne chose socialement. Une mesure qui vise d’ailleurs à contrer les revendications syndicales…

Néanmoins, il y a deux choses qui m’inquiètent avec ces mesures. D’abord, la notion de retraite à la carte qui risque d’entraîner des fractures au sein de la population, entre les jeunes et les moins jeunes, entre les fonctionnaires et les salariés, entre les régimes spéciaux et le régime général, etc. Il y aura donc des gens qui ne seront pas réconciliés avec cette réforme. Ensuite, le deuxième gros sujet, c’est le poids des organisations syndicales. Elles savent aujourd’hui qu’elles ne pourront pas peser sur le débat parlementaire. Comment les entreprises vont-elles gérer le sujet du conflit des retraites ? Les rapports risquent d’être tendus.  

Denis Campana :

La retraite est une matière dans laquelle on ne pourra jamais trouver de réel consensus. Il faut avancer de manière pragmatique pour entrer dans un dispositif qui cherche à atteindre l’équilibre. Mettons-nous en mode construction et pas en mode confrontation, afin de trouver les solutions de demain.

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